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« Soigner aujourd’hui sans nuire à demain »


Rédigé par Joëlle Hayek le Mercredi 24 Septembre 2025 à 10:01 | Lu 129 fois


Face à l’urgence climatique, le monde de la santé n’échappe à la nécessité de se réinventer. Longtemps centrés sur la seule qualité des soins, les hôpitaux prennent désormais conscience de leur empreinte environnementale et cherchent à concilier efficacité thérapeutique et sobriété. Pour soigner sans aggraver les déséquilibres écologiques, le Centre Hospitalier de Valenciennes s’est engagé dans une démarche d’éco-conception des soins que nous découvrons avec Sandrine Van Oost, cadre supérieure de pôle et pilote de ce projet structurant.



©CH de Valenciennes
©CH de Valenciennes
Pouvez-vous rappeler votre rôle au sein du CH de Valenciennes ? 

Sandrine Van Oost : J’ai la responsabilité des équipes paramédicales dans deux pôles : URAMU (urgences, réanimation, anesthésie, médecine polyvalente et soins continus) et SMR (soins médicaux et de réadaptation). Cette fonction, à la croisée de secteurs complémentaires, m’offre une vision transversale du parcours patient, de la prise en soins d’un épisode aigu jusqu’à l’orientation vers un service d’aval. C’est une perspective précieuse pour porter une démarche d’éco-conception des soins. 

Justement, comment définiriez-vous l’éco-conception des soins ? 

Le terme peut sembler abstrait car encore peu vulgarisé. Pourtant, il traduit une idée simple : soigner aujourd’hui sans nuire à demain. Le soin vise à préserver la santé du patient, mais aussi celle des soignants et des générations futures. Il s’agit donc d’intégrer, dès la conception des parcours, des actions qui réduisent l’impact environnemental, sans compromettre la qualité, la sécurité et l’efficacité des prises en soins. La démarche s’appuie notamment sur l’analyse du cycle de vie des pratiques, qui permet de cibler les postes les plus émetteurs et de réduire leur empreinte carbone.

En quoi cela transforme-t-il les pratiques au quotidien ?

L’éco-conception des soins invite à optimiser les consommations et à réduire les gaspillages. Elle questionne par exemple l’usage du matériel à usage unique, pour évaluer, au cas par cas et à la lumière des données disponibles, si une alternative réutilisable présente réellement un meilleur bilan environnemental. Elle pousse aussi à repenser la gestion des ressources. Ainsi, au pôle SMR, nous avons revu l’offre des repas du soir, trop copieux pour des patients âgés. En les associant à la réflexion, nous avons à la fois pu améliorer leur satisfaction et réduire significativement le gaspillage alimentaire.

L’organisation du travail est également vouée à évoluer…

En effet, l’éco-conception a des impacts directs sur la structuration des parcours et la démarche clinique. Aujourd’hui, un bilan peut nécessiter plusieurs rendez-vous distincts, obligeant les patients à multiplier les trajets. Regrouper les examens sur une même journée, avec un diagnostic en fin de parcours, permettrait de réduire à la fois l’empreinte carbone et l’anxiété liée à l’attente des résultats. Le numérique peut également constituer un levier : la téléconsultation diminue les déplacements, mais elle a aussi sa propre empreinte écologique. Tout l’enjeu est de trouver le juste équilibre et de délivrer le bon soin, au bon moment, pour le bon patient. En ce sens, l’éco-conception des soins transforme la culture soignante. Elle élargit le sens du soin, car elle cherche à préserver la santé collective.
 
Pourriez-vous citer une initiative concrète mise en œuvre au CH de Valenciennes ?

Aux urgences, la pose quasi systématique de cathéters périphériques entraînait du gaspillage, d’autant qu’un grand nombre de ces dispositifs était remplacé lors du transfert en médecine. Les garrots n’étaient en outre pas toujours utilisés conformément aux recommandations, ce qui les détériorait rapidement et augmentait la consommation de plastique. Nous avons donc revu les protocoles, en travaillant avec les équipes médicales sur la nécessité réelle de poser un cathéter, et en accompagnant les équipes paramédicales sur les gestes pour prolonger la durée de vie du matériel. Nous avons aussi remplacé les plateaux de cellulose jetables, utilisés en cas de nausée, par des plateaux réutilisables et stérilisables. Ces ajustements, modestes en apparence, ont un effet cumulatif important sur la réduction des déchets et de l’empreinte carbone.

Vous avez aussi travaillé sur le parcours administratif des patients…

Oui. Chaque service changeait le bracelet d’identification des patients posé aux urgences, car le numéro variait selon le séjour – ce qui générait beaucoup de plastique. Désormais, on colle la nouvelle étiquette sur le même bracelet. C’est une mesure transitoire, en attendant l’évolution de notre système d’information vers un numéro unique valable tout au long du parcours, mais c’est déjà une alternative plus durable. Nous réfléchissons aussi à des pratiques comme la toilette du patient, pour limiter la consommation d’eau et de produits d’hygiène. Il nous faudra alors impliquer les patients eux-mêmes, car eux aussi peuvent devenir acteurs de la transition écologique. Plus largement, les hôpitaux ont un rôle à jouer dans la sensibilisation : accueillir autant de patients, c’est aussi l’occasion de diffuser des messages d’éducation à la santé… et à la protection de l’environnement.

Quelles sont, à votre sens, les principales difficultés auxquelles se heurte l’éco-conception des soins ?

Elles tiennent d’abord à la conduite du changement, comme pour tout projet structurant, mais aussi à la complexité de l’analyse du cycle de vie des pratiques, qui requiert des compétences spécifiques. D’où l’importance de former les soignants et, plus largement, l’ensemble de la communauté hospitalière aux enjeux de la transition écologique, afin de comprendre pleinement l’intérêt de travailler dans cette perspective. Nous lançons d’ailleurs cet automne un dispositif ludo-pédagogique, d’abord auprès des soignants puis des autres professionnels du CH de Valenciennes, avant de l’élargir au GHT. 

Cette démarche impose donc une approche pluridisciplinaire et pluriprofessionnelle… 

Exactement : chaque métier a un rôle à jouer. Les logisticiens peuvent mettre en place une logistique à flux tendus, qui limite naturellement le gaspillage lié au sur-stockage. La cellule achats peut privilégier des produits locaux, réduisant l’empreinte carbone tout en sécurisant les approvisionnements. Les fournisseurs eux-mêmes peuvent agir en limitant le sur-emballage, qui alourdit la gestion des déchets. L’éco-conception des soins ne peut donc pas reposer uniquement sur les soignants : elle doit être portée par l’institution, pour légitimer et soutenir cette démarche collective. C’est un chantier qui demande de l’audace et une vision managériale sur le long terme, car chaque avancée en ouvre de nouvelles. L’ambition RSE de notre projet d’établissement 2024 - 2029 « Interactions » nous engage pleinement en ce sens. 

À quoi ressemblerait, selon vous, un établissement de santé pleinement engagé dans une démarche éco-responsable dans 5 à 10 ans ?

Ce sera un hôpital qui aura agi sur tous les volets de la transition écologique : construction durable, architecture adaptée, sobriété énergétique, gestion raisonnée des déchets… et bien sûr, une éco-conception des soins ancrée dans les pratiques. Cela suppose de ne pas appliquer les protocoles de façon mécanique, mais de les réinterroger régulièrement pour s’assurer de leur pertinence environnementale. L’éco-conception est une démarche d’amélioration continue, à l’image de la qualité ou de la sécurité. Demain, un établissement pleinement engagé sera donc à la fois sobre en ressources, innovant dans ses pratiques, participatif dans sa gouvernance, et porteur de sens pour les soignants comme pour les patients. Agir pour protéger l’humanité dans la perspective d’une santé globale, c’est aussi le rôle et la mission de l’hôpital.

> Article paru dans Hospitalia #70, édition de septembre 2025, à lire ici 
 






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